Adresse : 2 rue Edmond Champeaud - Montrouge (92120)
Architecte : Jules BABOIN
Entrepreneur : CLAUZIER P.
Date : 1902
Pour commencer cette tentative d'inventaire des bâtiments remarquables de Montrouge, voici un immeuble d'appartements, d'une typologie courante en couronne parisienne, mais qui présente des spécificités assez intéressantes, en tout cas suffisamment pour avoir fait l'objet d'un article d'une publication spécialisée d'architecture(1).
Les termes marqués d'un astérisque sont définis dans le LEXIQUE : ICI
Tout d'abord quelques mots sur l'auteur de cette réalisation. Cet architecte peu connu a construit son œuvre la plus célèbre à Antony, 3 place Auguste Mounié, une maternelle et une école primaire
de filles (publiée dans les Nouvelles Annales de la Construction, septembre 1905)(2). Cependant, il a exercé essentiellement à Montrouge, où il était architecte communal autour de 1900-1910. En
plus du complexe scolaire Rabelais, et de l'extension de la mairie, il a édifié pour des propriétaires de nombreux immeubles, souvent "à petits loyers".
Commençons par le programme* de la réalisation. L'une des particularités valorisées du projet correspond à la diversité de l'offre locative,
"variété - souvent négligée - dans la distribution de chaque étage, [qui] assure à l'immeuble en question trois chances pour une de répondre aux besoins de la clientèle locale"(3). En effet,
chaque étage est composé de trois appartements de taille différente : l'angle de la rue, partie la plus privilégiée, est occupé par un grand cinq pièces, desservi par un escalier indépendant aux
deux autres, destinés à des familles plus modestes(4)(plan des étages ci-contre). L'objectif était de propager ailleurs les modes de vie de la bourgeoisie parisienne. L'adoption de la tripartition* spatiale, bien visible sur le grand appartement, avec les espaces de réception sur la rue principale, les chambres sur la voie
secondaire, et les espaces de service sur cour, est très significatif de cela.
Ceci est également valable pour l'importance accordée à la distribution* de ce logement (ici appelée antichambre), et plus généralement, à la persistance de l'enfilade reliant les salles principales. La bourgeoisie prenait comme modèle de raffinement les demeures aristocratiques de l'Ancien Régime, tout en les condensant dans un milieu urbain nécessitant par définition une économie de place(5).
La conception de la structure et les extérieurs marquent cependant un positionnement plus moderne de l'architecte, même si cela n'est pas exempt de conventions. Il est intéressant de remarquer dans le paragraphe consacré à la construction de l'immeuble qu'une structure mixte a été prévue, combinant la pierre de taille, plus présente par tradition au niveau du soubassement*, et prépondérante pour le rez-de-chaussée et l'entresol (correspondant au premier étage de l'immeuble ; photographie ci-contre).
Cependant, au niveau des étages, les piles aériennes séparant les travées* des trumeaux*, laissent supposer l'emploi d'un matériau plus résistant que la brique seule, ce qui est bien indiqué dans la description, avec la présence du ciment. Les renfoncements* et les modillons* en brique accentuent cet effet. Par ailleurs, la présence de linteaux* métalliques couronnant les fenêtres révèle l'utilisation partielle d'une structure métallique, bien présente au niveau des planchers. Par ailleurs, ces linteaux* offrent la possibilité de réaliser cette partie de la construction de manière plus économique et rapide(6).
Cela permet de tenter de cerner le positionnement stylistique de l'immeuble. En effet, même si les deux premiers niveaux sont d'un éclectisme* discret, avec des références notamment au néo-classicisme (consoles*, clefs-de-voutes*...), ce qui se démarque nettement de la construction correspond davantage aux éléments rationalistes* qui ont été vus précédemment.
Ceux-ci sont composés de telle manière à offrir une monumentalité aérienne à l'édifice, et des effets pittoresques* destinés à souligner la valeur des différentes composantes du projet. Ainsi la bichromie* de la brique donne de la profondeur aux parties non porteuses de ce matériau, tout comme le travail des modillons. Le tout permet de conférer un aspect "bourgeois"(7) à la réalisation, tout en marquant la modernité réelle de l'édifice pour l'époque. Ce parti-pris architectural*, réinterprété selon la sensibilité de chacun des architectes qui l'adopteront, sera fréquent dans les arrondissements périphériques de Paris et la couronne parisienne, et est généralement qualifié de "rationalisme pittoresque". Il persistera jusqu'à la fin de l'entre-deux-guerres...
Il faut remarquer entre autres la nouveauté que constituait cet édifice dans la ville à cette période (vers 1900-1905). La composition architecturale et le nombre d'étages proposent une densité et un style inédit à Montrouge.
Nombre de maisons seront construites en rationalisme pittoresque, ou suivant un modèle plus proche des réalisations post-haussmaniennes* parisiennes, notamment autour des avenues de la République ou Henri Ginoux. Ce n'est d'ailleurs pas le seul immeuble que Jules Baboin construira suivant ce nouveau parti*. Nous retrouvons cette manière de faire également dans plusieurs autres de ses constructions, comme le 5 rue Edgar Quinet ou encore le 148 avenue de la République, sans compter le groupe scolaire Rabelais... La densification finira par avoir raison des vestiges faubouriens de Montrouge, aboutissant finalement à une certaine intégration de l'immeuble dans son environnement urbain, tout en proposant une certaine diversité.
Notes :
(1) RIVOALEN, E., Maisons Modernes de Rapport et de Commerce, Paris, Fanchon éditeur, 1903, deuxième livraison. Les citations de l'article, sauf mention contraire, proviennent de cette source.
(2) Ministère de la Culture, Direction de l’architecture et du patrimoine, Inventaire général, "Architecture et Patrimoine", base Mérimée, Paris (France), notice IA00121255
(3) Indiqué en italique dans le texte original.
(4) La mention "Salon ou chambre" sur les plans laisse supposer que la salle à manger correspond à la pièce principale, configuration reprise dans les habitations à bon marché.
(5) TEYSSOT, Georges, Walter Benjamin, les Maisons Oniriques, Paris, Hermann, 2013, p.55-56
(6) Collectif, L'Architecture Nouvelle, choix de petites constructions économiques, Dourdan, Juliot et Coquet éditeurs, vers 1900.
(7) Cette citation indique bien la volonté de faire propager un mode de vie particulier à d'autres catégories sociales...
Article : Michaël MENDES, Architecte
Site personnel : Pérégrinations architecturales