Pour continuer sur la découverte architecturale de la ville de Montrouge, poursuivons aujourd'hui par une petite maison de ville, qui n'a pas à envier aux réalisations parisiennes. Malheureusement, cette réalisation, bien qu'attestée dans la commune, est introuvable. La seule trace obtenue est issue d'un recueil de constructions individuelles : Petites Maisons Modernes de ville et de Campagne récemment construites (1). L'auteur de cet ouvrage est justement un Montrougien promoteur du rationalisme* en architecture, qui publiera différents livres, notamment sur l'habitation. Nous ne connaissons pas mieux l'architecte de la demeure, celle-ci étant le seul édifice de sa main semble-t-il à avoir été publié, et aucune source simple d'accès nous renseigne sur son parcours.
Commençons par le plan.
Le site se caractérise par son exigüité ("longueur 14 mètres, longueur 6 mètres") et la mitoyenneté des bâtiments l'entourant. Le parti* architectural du maître d'œuvre*, relativement fréquent pour des maisons de ville (malgré le titre de l'article, je ne le qualifierai pas d'hôtel particulier, dans la mesure où il ne semble pas y avoir un retrait par rapport à la rue), consiste à placer l'escalier d'une part et les salles de réception d'autre part, en réduisant autant que possible les espaces de circulation (d'où l'étroitesse de l'entrée). Les deux salles formant la réception forment une enfilade*, suivant la tradition classique.
Il faut noter l'effort effectué par l'architecte pour obtenir des pièces régulières, en chanfreinant* les angles du salon, qui se déploie sur la partie la plus large donnant sur rue, et l'un des angles de la salle à manger, afin que l'axe de l'enfilade semble placé au milieu de cette pièce. La cuisine est placée en retrait, au niveau d'une aile connectée directement à la salle à manger (mais aussi desservie par une circulation en retrait). Le niveau principal est légèrement surélevé par rapport à la rue, suivant les conventions existant depuis la Renaissance italienne. En dessous se situent les caves et la maçonnerie de soutènement, et aux niveaux supérieurs les chambres, "très indépendantes l'une de l'autre et de dimensions usuelles".
La structure de la construction est mixte, avec certes des murs de soutènement en pierre et des parois en brique, mais les planchers sont en partie métalliques. Cela permet une plus grande économie dans la construction (tout comme les linteaux métalliques, ce qui a été remarqué dans l'article de l'immeuble de rapport square de la Mairie).
La façade reste néanmoins l'élément le plus intéressant de la réalisation. Elle combine différentes influences. L'expression de la destination des intérieurs par les ouvertures donnant à l'extérieur est claire et renvoie directement aux doctrines rationalistes* professées par Viollet-le-Duc.
Autre élément s'y rattachant, la manière dont sont agencés les matériaux. Le socle de la construction, en meulière jointoyée* avec du ciment, confère une certaine robustesse à la base, qui s'attenue au fur et à mesure de la montée des étages de l'habitation. Ainsi, le niveau de la réception comprend un motif bossagé* alternant briques et pierre, ce dernier matériau n'apparaissant qu'au niveau des chaînages* pour le premier étage. Une toiture débordante avec potences en bois confère une touche pittoresque sans sortir de ce cadre au couronnement*.
Les références médiévales sont également visibles, notamment au niveau de la porte d'entrée, avec la fenêtre en imposte* aux profils gothiques, les colonnes avec consoles soutenant un bandeau au dessus de celle-ci et le vantail* de la porte d'entrée.
Si l'influence moyenâgeuse appliquée dans cet édifice s'éloigne déjà en partie des principes rationalistes, dans la mesure où elle ne sert que l'apparat de celui-ci, il est possible de se poser la question de l'opulence de l'ornementation sculptée, notamment au niveau de la fenêtre principale et du couronnement de la construction. En effet, s'y retrouve des motifs floraux et végétaux, dont les courbes, contre-courbes, et la volonté de fondre l'ornementation dans la matière les rendent caractéristiques de l'Art Nouveau*. Cela s'explique peut-être par le maître d'ouvrage* de l'habitation, un "sculpteur-ornemaniste", qui souhaiterait exposer, comme une affiche publicitaire, "les spécimens de ce que peut, à petits frais, un sculpteur, maître chez lui".
Enfin, pour compléter cet ensemble finalement éclectique*, il faut noter la persistance d'éléments d'essence classique*, bien que discrets sur la façade, avec notamment la table au dessus de la porte d'entrée, les chaînages du premier étage, et les motifs des jambages de la lucarne.
Cette réalisation pourrait bien constituer l'un des meilleurs exemples d'une demeure à dominante Art Nouveau dans la couronne parisienne. Si une personne a déjà remarqué cette demeure ou s'en souvient de l'avoir aperçu avant son éventuelle destruction, elle en sera gré de nous contacter afin que nous puissions y inclure l'adresse.
Auteur article : Michaël Mendès, Architecte
Références :
(1) RIVOALEN, E., Petites Maisons Modernes de ville et de Campagne récemment construites, Paris, Fanchon et Pinardon, 190?.