Pour poursuivre l'inventaire architectural de la ville de Montrouge, continuons par un petit hôtel particulier, situé dans une rue tranquille bordée de nombreuses demeures de la Belle Epoque...
Adresse : 10 rue Gutenberg, Montrouge
Architecte : Emile Marcellin Rivoalen
Date : 1898
Les termes suivis d'un astérisque sont définis dans le lexique LES MOTS DE L'ARCHITECTURE ici
Quelques mots sur l'architecte de la demeure, Emile Marcellin Rivoalen. Nous l'avons déjà rencontré lorsque nous avons abordé certaines publications. D'origine finistérienne, ancien architecte départemental de ce secteur, il aurait également contribué à la restauration d'Azay-le-Rideau. Il s'établit à Montrouge par la suite, devient dessinateur et critique dans diverses revues d'architecture, et notamment au départ dans la Revue Générale d'Architecture et des Travaux Publics, dirigée par César Daly. Il dirigera par la suite un périodique moins important, l'Architecture Usuelle, jusqu'en 1913 (date de son décès) et publiera différents ouvrages, notamment sur l'habitation (1). Il fait au long de sa carrière la promotion d'un certain rationalisme, qui oscille entre celui classique* et celui plus pittoresque*, qui varie notamment en fonction de la destination des logements...
La maison qui nous occupe aujourd'hui a été construite pour son propre compte et a été utilisée pendant quelques années comme le siège de son cabinet (2) (figure 1 et photographie 1 ci-contre). Son implantation est justifiée, encore une fois, par l'exigüité du terrain (10 mètres de largeur) et les mitoyennetés existantes. En considérant l'article rédigé par lui-même paru dans la Construction Moderne (3), l'architecte tenait, en plus des conventions associées à ce type de construction, à conserver un passage entre les deux parties des extérieurs, l'obligeant à un "décroché" des pièces de réception, salle à manger et salon, qui se développent ainsi en profondeur en conservant une enfilade*.
Pour accuser la distinction entre la volumétrie de ces salles et le reste de l'habitation, les dépendances de celle-ci devaient être contenues dans un espace restreint, trop selon l'auteur pour y inclure strictement l'escalier, d'où la création d'un "avant-corps"* qui y incorpore une partie (figures 2, 3 et 4; photographie 2 ci-contre). En considérant cela, il est possible de comprendre la part pittoresque choisie par le maître d'œuvre*, qui exprime différentes destinations de la construction par la volumétrie; l'influence de l'habitation anglaise et des Arts & Crafts* n'est pas très éloignée. D'ailleurs, il ne se contente pas uniquement de le faire de cette manière. En observant la façade principale de la demeure, il est simple de constater que le traitement des matériaux de la cage d'escalier est différent du reste de la composition, avec ses blocs de pierre bouchardées* grossièrement et disposées de manière (volontairement) peu régulière (photographie 3). Voici une autre méthode pour bien marquer la différence de statut entre les éléments de la construction.
Autre moyen pour effectuer cela, la forme et la taille des fenêtres (photographie 2) : les petites ouvertures latérales gauches correspondent aux toilettes ; les plus importantes au salon et à la chambre principale, et celles intermédiaires, dont la taille est rabaissée par une allège* en brique (animant justement l'avant-corps; photographie 3), aux escaliers, car le niveau de l'allège de celles-ci "éclaire la cage d'escalier au mieux du passage des rampes et limons qui ne coupent point ces fenêtres".
Cependant, malgré les effets précédemment cités, la résidence ne saurait être purement rationaliste pittoresque. Pour se convaincre de cela, il est possible de la comparer par exemple aux premières réalisations d'Hector Guimard, qui, avant de créer un Art Nouveau qui lui est personnel, œuvrait ouvertement dans ce style*. Prenons par exemple l'hôtel Jassèdé à Auteuil (figures 5 et 6), dont la volumétrie très élaborée distingue précisément chaque partie de l'édifice, sans préoccupation de symétrie et avec des références à des mouvements architecturaux anciens restant discrètes. En effectuant la comparaison, même si la construction de Rivoalen est dissymétrique, le jeu de volumes reste tout de même retenu. Le dessin des fenêtres est aussi révélateur, entre une façade exprimant par des ouvertures disposées à redents la présence d'un escalier, et une autre où ne présentant que des percements verticaux traditionnels. Mais cela se perçoit également par l'ornementation choisie : si Guimard réinterprète (ou supprime) les références stylistiques dans une volonté d'exprimer la rationalité de l'œuvre, il est possible de retrouver chez Rivoalen des reprises directes : modillons*, bandeaux* (photographie 4). Les fenêtres se distinguent de par leur arc surbaissé*, leur clef de voute, et des voussures* se perçoivent même dans le porche d'entrée (photographie 5). L'allège des fenêtres de l'escalier simulent, en la stylisant, une balustrade à l'italienne (photographie 3). Ces références au classicisme, certes modestes, sont plutôt à lier avec une démarche rationaliste classique*. D'autres éléments se rattachent eux à l'époque gothique, notamment les moulurations de l'angle de la demeure (photographie 6), et le porche d'accès au jardin (qui semble avoir disparu, mais visible sur l'élévation* d'origine). L'auteur précise lui-même que l'avancée de l'escalier correspond "au parti-pris des constructeurs du Moyen-âge lorsqu'ils plaçaient leur vis en tourelle, au beau milieu de leur façade sur rue". Ces références d'origines diverses rappellent l'emprunte toujours vivace de l'éclectisme à la fin du XIXème siècle.
Toutefois, l'auteur ne prétend pas que son œuvre corresponde forcément à l'aboutissement des préceptes rationalistes*, ce que montre la fin de son article, qui renvoie aux critiques éventuelles de l'implantation choisie, mais il souligne la difficulté de l'acte de construire par rapport à la simple critique : "ceux-là, seuls, qui ne bâtissent point, sont bien sûrs d'échapper à toute juste critique; et encore !".
Article : Michaël Mendès, Architecte
Notes :
(1) Pour plus de détails, voir DELAIRE Edmond-Augustin, Les architectes élèves de l'Ecole des beaux-arts (1793-1907), Paris, Librairie de la Construction Moderne, 1907, p.389. et JUBELIN-BOULMER Catherine, Hommes et métiers du bâtiment 1860-1940, l'exemple des Hauts-de-Seine, Paris, Centre des Monuments Nationaux et éditions du Patrimoine, 2001, p.284.
(2) JUBELIN-BOULMER Catherine, Hommes et métiers du bâtiment 1860-1940, l'exemple des Hauts-de-Seine, Paris, Centre des Monuments Nationaux et éditions du Patrimoine, 2001, p.284.
(3) RIVOALEN Emile Marcellin, "Cottages et maisonnettes sur terrains étroits", La Construction Moderne, 10 septembre 1898, p.593-594. Les citations qui suivent sont extraites de cet article.